(article d’Yves THONNERIEUX / NATUR’AILES,
paru dans le Courrier de la Nature, revue de la SNPN)

Les énergies fossiles – charbon, gaz naturel, pétrole – (qui représentent 80 % de la production d’énergie dans le monde) auront disparu dans 100 ans, sinon plus précocement encore si l’on tient compte des besoins énergétiques accrus de pays émergeants comme la Chine. Polluantes et responsables de perturbations climatiques planétaires, dont on peine encore à mesurer les implications, ces énergies non renouvelables sont appelées à céder la place à des formes d’énergie plus douces, au potentiel infini, mais qui ne sont pas pour autant dénuées de conséquences sur les milieux naturels. Qu’en est-il des éoliennes, et tout particulièrement de leur impact sur les populations aviennes ?
De par sa superficie et compte tenu de sa situation géographique, la France possède le second potentiel éolien en Europe, avec des régions très ventées comme le couloir rhodanien, le Roussillon ou la façade atlantique. Pourtant, nous produisons presque 100 fois moins d’énergie par ce biais qu’un pays comme l’Allemagne. Dans une directive de 2001, l’Union Européenne incite ses membres à développer leur parc éolien. Pour être en conformité avec ce texte, la production d’électricité de la France en énergie renouvelable devra passer de 15 % aujourd’hui à 21 % dans 5 ans (les 15 % actuels étant principalement d’origine hydroélectrique). Il faut donc s’attendre à ce que ces moulins à vent des temps modernes deviennent un élément incontournable du paysage.
A la traîne par rapport à d’autres états qui ont senti « tourner le vent » avant nous et ont anticipé la crise énergétique annoncée, la France tirera néanmoins son épingle du jeu de l’expérience et des erreurs enregistrées par les pays précurseurs. D’une certaine manière, il est rassurant de penser que la calamiteuse implantation éolienne de Tarifa, dans l’extrême sud de l’Espagne, sur la voie de migration de millions d’oiseaux entre l’Europe et l’Afrique, via le détroit de Gibraltar, ne se produira pas chez nous !
Ceux qui s’intéressent à l’avifaune – c’est-à-dire, pour simplifier, les chasseurs et les ornithologues – ont créé des groupes de travail chargés de canaliser le parc éolien français dans des limites acceptables pour les oiseaux, afin que ces nouvelles installations ne soient pas une cause supplémentaire de leur déclin. L’ONCFS et la LPO travaillent en parallèle (à défaut d’unir leurs efforts) ; et les lignes qui suivent s’inspirent de documents de synthèse réalisés par ces deux structures.
Cet article ne prend donc en compte que l’impact des éoliennes sur les oiseaux. D’autres causes de perturbation (parfaitement tangibles, comme la « pollution » visuelle que les éoliennes induisent là où elles s’implantent) ne sont pas abordées ici et constituent le cheval de bataille d’associations diverses dont les motivations sont tout aussi légitimes.
Des études d’impact standardisées
Les premières recherches sur les interactions éoliennes / oiseaux remontent à la fin de la décennie 60 et émanent d’outre-Atlantique. Ce sont également les Américains qui ont standardisé un protocole d’étude d’impact, il y a 10 ans environ. Cette méthode, du nom de BACI (« Before / After Control Impact » = contrôle de l’impact avant et après), permet aujourd’hui de collecter et d’analyser des données selon des modalités communes. Ce protocole consiste en un suivi spatio-temporel : des relevés d’avifaune sont opérés sur les futurs sites d’implantation des éoliennes et réitérés après leur mise en service ; tandis qu’un site de référence, voisin du parc éolien et choisi pour sa similitude, sert de point de comparaison.
Les impacts des éoliennes sur les oiseaux relèvent de deux ordres :
• l’influence directe de ces installations érigées dans l’espace aérien potentiel de l’avifaune se mesure en terme de collisions. On procède à un relevé des cadavres d’oiseaux (qui doit être systématique et régulier, ce afin d’éviter que les carnassiers ne viennent en partie masquer l’importance réelle de cette cause de mortalité) ;
• les impacts indirects, plus difficilement identifiables, sont également recherchés. Il peut s’agir, selon les cas, et suivant les sites d’implantation, d’une déviation de la trajectoire de vol des oiseaux migrateurs, de perturbations dans la structure d’un peuplement avien ayant mal supporté l’existence d’un chantier, d’un fléchissement du potentiel alimentaire disponible, suite à l’artificialisation ponctuelle du lieu, et par comparaison avec son statut antérieur (ce ne sont que quelques exemples d’effets indirects).
Peu de collisions mais des effets parfois insidieux
Plusieurs décennies d’expérience permettent aujourd’hui d’affirmer que les risques de collisions oiseaux / éoliennes sont minimes quand la visibilité est bonne (c’est-à dire en journée, par météo favorable) et en dehors des grands axes migratoires de l’avifaune.
Sur les couloirs de migration importants, le taux de mortalité par éolienne et par an se situe par contre autour de 33 oiseaux. Les rapaces diurnes et les espèces qui se déplacent à la faveur de la nuit sont potentiellement exposés plus que les autres aux collisions accidentelles (statistiquement, les oiseaux de proie représentent souvent la moitié des accidents répertoriés contre les rotors à hélices sur les implantations à risques). Les rapaces et les grands voiliers planeurs (cigognes entre autres) sont assujettis aux courants aériens et aux ascendances thermiques générées par le relief ; ce qui rend leur temps de réaction et d’anticipation plus grand que celui des oiseaux qui battent des ailes en continu. S’agissant des migrateurs nocturnes, les risques de collision sont quelque peu tempérés par le fait que leur altitude de vol est généralement plus élevée que celle des oiseaux qui migrent de jour : dans l’absolu seulement, car par vent de face ou plafond nuageux très bas, les espèces profitant de l’obscurité pour relier un point à un autre sont exposés au mouvement rotatif des pales sur leur trajectoire de vol. Mais d’une façon générale, hors cas particuliers, les oiseaux en déplacement, de jour comme de nuit, adoptent des comportements d’évitement à la vision – et / ou à l’audition – d’un parc éolien. Dans la majorité des cas, l’obstacle est contourné par un côté, beaucoup moins fréquemment en survolant les installations ou en passant en dessous des hélices. L’agencement des éoliennes combinant un nombre important de turbines doit tenir compte de cet aspect comportemental et éviter les structures linéaires qui hissent une barrière difficilement franchissable par les oiseaux en travers des axes de leur migration, comme c’est le cas près de Gibraltar avec une centaine d’éoliennes en service.
Pour les migrateurs diurnes, les distances de réaction varient de 300 à 500 m ; chez les oiseaux volant la nuit, cet intervalle est ramené à 20 m en moyenne. Il est plus ou moins prononcé selon les groupes d’espèces : les anatidés (canards, oies) réagissent à bonne distance ; c’est déjà moins vrai de la part des échassiers limicoles et des grives…
Une autre situation à risque peut naître de l’accoutumance d’une espèce locale à la présence des éoliennes sur son territoire vital. Cela s’observe chez les aigles dont on voit des individus utiliser les mats comme perchoirs, après avoir intégré cet élément artificiel comme faisant partie du décor. A ceux qui doutent de cette réalité, il suffira de rappeler que les buses, postées au bord de nos autoroutes, s’accommodent très bien du flux automobile passant à 130 km /h à 20 mètres de leur piquet (dans ce cas d’espèce, le mouvement est synonyme de sécurité ; mais ces buses autoroutières sont promptes à s’envoler dès qu’un véhicule s’arrête !). Il arrive aussi qu’un facteur attractif temporaire fasse affluer les oiseaux sur un site éolien et les expose à des risques accrus de collision pendant la durée de leur stationnement sur les lieux : ce peut-être un champ fraîchement labouré ou moissonné dans lequel une certaine source de nourriture (comme les rongeurs ou des graines perdues) devient pour un temps disponible.
A noter encore que la présence de structures annexes aux éoliennes proprement dites (câbles de raccordement, tours météo) est souvent une cause de mortalité plus importante que les mats eux-mêmes coiffés de leurs pâles, dont la dangerosité est bien moindre que celle du réseau électrique aérien pris dans sa globalité.
Les perturbations liées à la présence d’un parc éolien semblent peser plus lourd que les collisions elles-mêmes.
Localement, une diminution des densités de populations aviennes et du succès de leur reproduction a été décelée dans un rayon de 500 à 1 000 m autour d’un parc éolien. Aux Pays-Bas, les cygnes, oies et courlis évitent de s’installer à proximité de ces éléments verticaux qui tranchent avec l’horizontalité de leur environnement coutumier. Les vanneaux huppés, à l’inverse, réagissent fort bien.
Une ligne d’éoliennes peut également modifier les habitudes d’une population avienne qui oscille quotidiennement entre un reposoir et une zone d’alimentation.
Yann André, dans un article de la LPO, écrit : « le dérangement de dynamiques locales peut avoir des répercussions sérieuses sur la fréquentation de sites d’hivernage en déstabilisant des fonctionnalités écologiques ».
Comme on peut s’y attendre, un parc éolien disposé le long d’une voie de circulation automobile, dans un milieu déjà fortement artificialisé, aura moins de conséquences, en terme de perte d’habitat pour les oiseaux, qu’une implantation dans un site resté jusqu’ici à l’état naturel.
Enfin, il existe parfois un facteur humain lié aux allées et venues pendant le chantier et même au-delà : par simple curiosité, des visiteurs se rendent sur le site pour voir de plus près ces moulins géants ou profitent des voies d’accès nouvellement ouvertes pour venir se promener là où personne ne s’aventurait avant.
Mise en commun des études
A la lumière des études publiées, il est désormais possible, lors d’un projet éolien, de limiter autant que faire se peut l’impact direct ou indirect des installations sur les populations aviennes.
Le choix des emplacements est à cet égard capital : il convient d’éloigner ces machines de tout site potentiellement très attractif pour les oiseaux et particulièrement des zones humides, des couloirs de migration identifiés comme cruciaux, de la proximité des colonies de nidification (cas des falaises à vautours), des aires d’alimentation incontournables pour l’avifaune (estuaires, etc…). « En ce qui concerne les parcs éoliens offshore, il est recommandé de les placer à au moins un kilomètre de colonies importantes dans le cas des mouettes et à au moins 200 m pour les autres oiseaux de mer », peut-on lire dans une brochure de l’ONCFS. Cela nous semble en effet un minimum et les colonies de sternes devraient pouvoir bénéficier de la même marge de sécurité que les mouettes !
Il faut également bien connaître les facteurs climatiques locaux (occurrence de vents rabattants, persistance de nappes de brouillard) et ne pas négliger les aménagements artificiels préexistants, comme la proximité d’une autoroute ou d’une ligne électrique vers lesquelles les oiseaux seront peut-être canalisés, à leurs risques et périls, dans leur manoeuvre d’évitement du parc éolien. Le choix d’un assolement peu attractif à proximité immédiate des sites est à prendre en considération par la suite.
Dans tous les cas, un suivi ornithologique d’un an avant le début des travaux permet d’évaluer l’impact prévisible d’un projet et de modifier, le cas échéant, son profil. Une étude complémentaire d’une année après la mise en service du parc, fournit des indications sur la mortalité directe et les modifications comportementales de l’avifaune. C’est le fameux protocole BACI déjà évoqué… A la longue, ces études fournissent une base de données précieuse dont les futurs parcs éoliens peuvent s’inspirer afin de limiter leur impact sur les communautés d’oiseaux sauvages.
Y.T.