Normalement les achats de terres agricoles sont réservés en priorité aux agriculteurs qui en ont le plus besoin. Encore faut il qu’ils aient les moyens de les acheter, ce qui est de plus en plus rare avec la crise agricole actuelle. La tendance est même à la vente, histoire de se désendetter. Normalement aussi, la Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural (SAFER) dispose d’un droit de préemption afin de contribuer à une juste répartition des terres disponibles. Ce qu’elle fait de moins en moins.
Selon Emmanuel Hyest, président de la SAFER cité par notre confrère La Croix de ce jour, « toutes les terres agricoles vendues en France doivent être notifiées par notaire. Nous avons même un droit de préemption, confirme-t-il, si les prix ne correspondent pas au marché ou si la vente ne répond pas aux objectifs des politiques publiques, comme la préservation du modèle d’agriculture familiale ». Voilà pour la méthode.
Mais le mandataire des acheteurs chinois est allé voir des paysans en grande difficulté, lestés d’un endettement très lourd. Et leur a proposé un moyen de se désendetter en cédant aux investisseurs chinois jusqu’à 98% des parts dans une le cadre de la constitution d’une Société Agricole. Il apparaît donc qu’il existe une faille dans le système de contrôle des transactions mis en place par la SAFER de l’aveu même de son président : « Il suffit de vendre 100% de la société moins une part », laisse-t-il entendre pour que l’opération qui a permis aux investisseurs chinois d’acheter 1.700 hectares de terres céréalières ne puisse pas être contestée par la SAFER.
Il est donc grand temps de modifier la législation pour éviter le développement d’une pratique dangereuse pour l’intérêt national et pour notre souveraineté alimentaire. Car ce qui caractérise la crise agricole actuelle, aggravée ces derniers mois par la chute des cours, du blé, du maïs, de la viande bovine , de la viande porcine et de lait de vache , c’est à la fois la chute du revenu des exploitant et l’augmentation de leur taux d’endettement. Ceux qui sont propriétaires de tout ou partie des terres qu’ils exploitent peuvent alors être nombreux à considérer que vendre des parts à un investisseur étranger afin de récupérer de l’argent pour payer ses dettes et continuer de produire devient le seul moyen de garder son métier.
Usant d’une faille pour contourner les protections mises en place pour protéger l’achat de terres agricoles en France, un groupe chinois a fait main basse sur près de deux mille hectares dans l’Indre en achetant trois exploitations. Et des négociations seraient en cours pour l’acquisition d’une quatrième.

Cette mystérieuse société chinoise a racheté l’année dernière 1 700 hectares de terre agricole dans l’Indre. Des acquisitions qui manquent cruellement de transparence et commencent à inquiéter.
Si on connaît l’engouement des riches Chinois pour les vignobles bordelais, leur intérêt soudain pour les exploitations agricoles était, lui, moins prévisible.
Le groupe China Hongyang, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation… d’équipements pour les stations-service et l’industrie pétrolière a pourtant acquis, l’an dernier, 1700 hectares de terres agricoles dans le département de l’Indre. C’est la «branche investissement» de ce groupe qui a racheté, à prix d’or, ces parcelles à trois exploitants. Beijing Reward International Trade, l’une des filiales de ce trust produit et commercialise du lait en poudre.
à ce jour, rien n’a filtré quant à l’utilisation que ces firmes chinoises comptent faire de ces terres.

La Safer (Société pour l’aménagement foncier rural), censée être informée de toute cession, estime dans un communiqué que «les productions agricoles du groupe seraient destinées à l’exportation», au pays du Soleil levant.
«Les investisseurs sont allés voir les exploitants qui tiennent une structure individuelle, leur ont demandé de se mettre en société agricole de type Société en commandite par actions (SCA) avant de racheter 98 % des parts sociales», détaille Hervé Coupeau, président de la Fédération des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de l’Indre.
Un montage qui supprime toute obligation de droit de regard puisque la cession des parts de société agricole n’atteignant pas les 100 %, les actionnaires ne sont pas obligés d’en référer à la Safer et, du coup, la transaction échappe à tout contrôle.
«Il apparaît donc évident qu’il faut modifier les choses pour éviter de telle situation», invite Jean-Louis Cazaubon, président de la Chambre d’agriculture de Midi-Pyrénées.

Un Français chargé d’un subtil montage
Les SCA qui ont été constituées pour le rachat de ces exploitations ont toutes été placées en gérance ou en co-gérance au nom d’un certain Marc Fressange, un Français qui s’occupe d’importation/vente de grands crus et de produits agro-alimentaires français mais aussi de la gestion de portefeuilles, spécialisée dans les investissements pour le secteur agro-alimentaire en Europe, France et Chine (lire l’encadré ci-dessus).

La Chine, qui manque de terres agricoles, mène des opérations similaires dans d’autres régions du monde.